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Cri

William Bucher

Pourquoi s’efforcer à créer quand rien ne marche, à avancer quand tout semble perdu d’avance ? Cette flamme qui brûle au fond du torse et qui s’embrase quand tout s’effondre, qui pousse chaque être à se battre plus fort, plus longtemps, ne serait-ce que juste assez pour sortir du cœur le cri qui y est coincé.

J’ai beaucoup trop souvent l’impression de n’arriver à rien, de rater tout ce que j’entreprends et de ne jamais rien mener à terme. J’ai donc l’envie de créer, le besoin d’explorer les possibles et braver les impossibles, de dépasser mes limites et briser celles que ceux avant lui ont instaurées, mais bien trop souvent ce besoin se voit tué dans l’œuf. La forme finale qu’a prise mon œuvre est assez différente de ce que je voulais au début. Le concept reste le même et les différents éléments sont là, mais ils avaient une autre apparence dans les premières ébauches. Le plastique noir tendu sur le cadre en bois devait être une toile classique, la main qui le perce et qui le maintient en tension devait être en plâtre et non en scotch et en cellophane. L’œuvre finale est devenue ce qu’elle représentait, une collection d’échecs décidés à être des succès. Frustration, rage, irritation, épuisement, désespoir, trouver le mot exact pour décrire ce que je ressens plus ou moins quotidiennement est quasiment impossible, mais cette boule qui s’est coincée au milieu de mon torse a au moins un aspect positif : elle est hautement inflammable. Avez-vous déjà essayé d’amener un briquet allumé à une boule de chiffons imbibés d’essence ? Moi non plus, mais c’est exactement ce que je ressens au fond du cœur quand il dépasse un certain seuil. Quand toute la frustration et la soif de créer devient trop grande pour être contenue, elle éclate, elle explose, et rien ne peut lui faire barrage, pas même cette œuvre. Au fil du temps, celle-ci a évolué, passée de simple concept à cauchemar logistique et pratique, elle est maintenant transformée, avec néanmoins la même idée à son coeur : cette flamme, cette soif, qui au fond du torse, meurtrie par les échecs à répétition et les crises d’angoisse ne crie plus qu’une seule chose : “Ne m’abandonne pas.” Les dernières braises d’un feu autrefois grandiose suffisent à raviver une flamme, une seule, qui redonne la force de pousser une dernière fois, de créer, peu importe le résultat, pourvu qu’il crie la même chose à ceux qui l’observent.