Victor Pouchet

Articles   Dans les saisons passées

Victor Pouchet, auteur du livre Pourquoi les oiseaux meurent, a participé en 2018 aux rencontres littéraires organisées par la Direction culture. Son dernier roman, Autoportrait en chevreuil aux éditions Finitude, a été sélectionné pour la 8e édition du Prix du Roman des étudiants France Culture-Télérama. Il s'est prêté au jeu de l'interview.

Qu'est-ce que votre roman "Autoportrait en chevreuil" recèle de plus important à vos yeux ?

Je crois que j’ai voulu mêler dans ce livre le plus important et le plus léger, des expériences hors-normes, des accidents majeurs qui semblent briser des vies mais aussi des impressions universelles et douces, l’amour et des choses petites et grandes qui font que ces vies continuent et se transforment au-delà des grands accidents.


"Pourquoi les oiseaux meurent", "Autoportrait en chevreuil"... Victor, quel est votre rapport aux animaux ?

C’est étrange car je m’étais dit que je ne m’occuperais plus d’animaux après les oiseaux. Et finalement, ces figures reviennent, sans que je le cherche, peut-être parce que je ressens une étrangeté radicale et dans le même temps une grande familiarité avec le monde animal. Des liens intimes nous relient aux animaux. Au fond, nous vivons avec eux, sinon physiquement du moins avec des formes de sauvagerie, des images, histoires et symboles du monde animal. Il y a dans ces vies animales des échos qui permettent de dépasser notre impression d’être figé dans nos existences et notre époque. En allant chercher de ce côté-là, on sent d’un coup que nous sommes traversés par une épaisseur plus profonde, comme si nous rejoignions un temps ancestral. Les hommes qui peignaient des grands cerfs dans les cavernes il y a 30 000 ans rêvaient peut-être déjà sur les courses des cervidés, se projetaient en eux, cherchaient à dialoguer avec leurs esprits. Peut-être même que ces peintures rupestres étaient aussi pour eux des formes d’autoportraits, qui sait.


D'où vous est venue l'idée de ce personnage, Elias, et de son père également, magnétiseur ?

L’idée m’est venue un jour d’août 2017. À l’occasion d’une étape du « tour de France à pieds » entrepris avec deux amis, le hasard nous a conduit dans une forêt bretonne. Aux pieds de menhirs et de dolmens, un homme était occupé à brancher des appareils électriques. Il se présenta comme magnétiseur et nous expliqua qu’il cherchait à capter des forces et présences invisibles et à « enregistrer les ondes scalaires ». J’étais fasciné par son discours très étrange sous des apparences scientifiques. Nous avons passé deux heures avec lui, il m’a laissé sa carte puis nous sommes repartis. Je me suis demandé ensuite ce que ça ferait d’avoir un père comme lui. À quoi ressemblerait une enfance baignée dans ce type de discours et de croyances. C’est là que le roman a commencé à naître dans mon esprit : j’avais envie de raconter l’histoire d’Elias, le fils du magnétiseur. Quelques temps après, j’ai rouvert le document où je note au fil des jours des idées, phrases et paragraphes. Je me suis rendu compte qu’un certain nombre de phrases écrites bien avant cet été 2017 semblaient émaner ou d’Elias ou de ce père magnétiseur, comme si ces personnages existaient déjà quelque part dans mon esprit, avant que je ne les croise dans le monde réel. 


La structure du roman en trois parties, correspondant aux voix d'Elias puis de sa fiancée et enfin celle de son père, s'est-elle imposée à vous dès le départ ? 

J’ai commencé par écrire la première partie, celle d’Elias, à la première personne. Il revient sur « ses trucs de l’enfance » et parle aussi de ce qu’il est aujourd’hui, et notamment d’Avril, la fille qu’il a rencontrée il y a peu. Leur histoire d’amour va faire basculer les choses mais Elias semble avoir quelque chose à ne pas dire, être habité par un drame souterrain. Il s’échappe aux regards, tel un chevreuil. Son mystère ne pouvait donc être tout à fait cerné par ses propres mots. Je me retrouvais donc coincé dans l’écriture. J’étais prêt à abandonner Elias à ses silences quand l’idée m’est venue de l’approcher par d’autres biais, de l’observer de l’extérieur et de faire parler Avril dans une deuxième partie. Par la voix plus légère, plus joyeuse et plus ancrée de son journal intime, nous la découvrons plus directement et nous avons accès aussi à un autre point de vue sur ce jeune homme à la fois très étrange et très normal (pour autant que ce mot veuille dire quelque chose). Une troisième partie laisse la parole au père. Ce personnage, présent jusque-là uniquement à travers les yeux du fils, résout en quelque sorte une part de l’énigme. L’image de ce père change. À plusieurs reprises donc, le regard se décale, d’autres voix interviennent. J’aime pouvoir donner en partie accès aux raisons des différents personnages. Ces variations m’importent : il n’y a pas de vérité fixe sur une existence, mais plusieurs versions qui dessinent à un moment donné une image. Peu à peu, un portrait de chevreuil prend forme entre les branchages. 


Quel souvenir gardez-vous de votre venue à l'Université de Lille en 2018 ?

Un très bon souvenir ! Je me souviens d’avoir tenté de reconstruire le fil que j’avais suivi dans l’écriture de mon premier roman, et d’avoir parlé avec des étudiants curieux et intéressants. Ces échanges de vive voix nous manquent à tous. J’espère que nous descendrons bientôt de ce grand bateau fantôme dans lequel nous semblons embarqués pour que de telles rencontres puissent avoir lieu à nouveau. 

 


 

©Clémentine Mélois