Quand le papier devient œuvre d'art

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Plantoïdori - Dewi Brunet, l’équipe DEFROST commune à Cristal (Université de Lille, CNRS, Centrale Lille) et Inria

5 septembre – 27 octobre 2022

Alors que le papier a souvent été utilisé chez les artistes à des fins préparatoires, Dewi Brunet en fait son médium de prédilection.

Artiste autodidacte installé à Bruxelles, Dewi Brunet est artiste plieur. Après un master en urbanisme, il s'intéresse depuis plus de quinze ans au pliage et plus précisément à l'origami, au froissage et au dépliage. Le terme « Origami » signifie pliage de papier en japonais. C'est une pratique traditionnelle originaire de Chine, et qui s’est développée au Japon.

Dewi Brunet l'utilise dans un champ plus large en expérimentant des matières autres que le papier, tel le tissu par exemple. L’activité d’artiste plieur est encore peu répandue, et Dewi Brunet a souhaité développer ses interventions dans des écoles, principalement supérieures, telles des écoles d'architecture, d'art ou encore de design.

Il tire son inspiration d’abord de ses études en urbanisme : il s'intéresse beaucoup à la question de l'habitat et à la manière dont les personnes habitent le monde. Il a notamment conçu des abris transportables en carton qui peuvent reconstituer des logements légers et pourraient être utilisés à la suite d'un ouragan, par exemple. Il a ensuite porté son intérêt sur la science du vivant, sous toutes ses formes. Selon lui, il est possible de trouver du pliage partout, chez les humains, les animaux et même les végétaux.

Pour Brunet, la pratique du pliage est à la fois une technique, un medium d'expression à part entière et un champ de recherche qui croise les disciplines. Son pliage est moderne, abstrait, organique et géométrique. Il développe sa technique à travers plusieurs gestes créatifs tels que le pliage textile et la mode (il utilise notamment un procédé unique, limité à quelques artisans de la haute couture), l'architecture monumentale, le froissage structuré (il s'agit d'une structure de l'origami, avec des matières très fines, des textures très denses en pli, qui permet de créer de larges surfaces de déploiement) ou encore la robotique. Par sa pratique de l'Oribotic (un croisement entre l'origami et la robotique), il met en lumière ses aspects esthétiques, techniques et philosophiques.

Entre 2021 et 2022, il participe à une résidence Airlab (Artiste en immersion recherche dans un laboratoire) lancée par la  Direction culture  de l'Université de Lille et la Région Hauts-de-France.

Les résidences Airlab permettent à des artistes de travailler au sein d'un laboratoire de recherche universitaire durant un semestre. Les différents processus de création, artistique et scientifique peuvent ainsi se croiser et des échanges se créent au sujet de méthodologies et de connaissances. L'objectif est d'abord artistique, mais le projet permet également de diffuser et de valoriser les travaux des chercheurs.

Pour cette résidence, Dewi Brunet a collaboré avec l'équipe Defrost du laboratoire Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) de l'Université de Lille. Ce laboratoire est spécialisé dans le design, la conception et le contrôle de robots déformables. L’équipe Defrost travaille plus précisément sur le design, le contrôle et la fabrication de « soft robots », des robots déformables. Pendant trois mois, ils ont accueilli en résidence l'artiste Dewi Brunet pour une collaboration autour de l'Oribotic.

Cette collaboration entre Dewi Brunet et l'équipe Defrost semble évidente lorsque l’on connaît les centres d'intérêt de chacun. Ils ont travaillé ensemble pour la première fois en 2019 lors d’une exposition dans le cadre d'une Biennale organisée par 50° Nord au sein de laquelle l'artiste a réussi à animer ses œuvres.

Dewi a trouvé un intérêt certain dans le travail effectué avec ce laboratoire scientifique, en visant un objectif commun tout en prenant des chemins différents. Il aime penser que « l'artiste est un chercheur raté et le chercheur est un artiste raté ». Quand on lui demande si cette collaboration a influencé sa manière de créer, il répond par l'affirmative. Selon lui, l'objectif de ce projet est de croiser art et science, de trouver comment chacun peut s'entraider et permettre d'innover.

Cette collaboration entre science et art du pliage a déjà montré son utilité : le déploiement du télescope James Webb, né de la collaboration entre la NASA (National Aeronautics and Space Administration), l'ESA (European Space Agency) et des artistes plieurs est un très bon exemple de ce que peut concevoir l'Oribotic. Le pliage permet alors de répondre à une question souvent posée en science, que ce soit dans le domaine de l'astronomie ou de la médecine : « Comment peut-on faire entrer une très grande matière dans un petit espace ? ».

L’œuvre qui découle de la collaboration Defrost-Brunet s'intitule Plantoïdori. C'est une installation qui plonge le visiteur dans une salle sombre, dans un environnement fait de papier froissé. Ce lieu, qui peut s'apparenter à une grotte, est peuplé d'origami robotique. Une bande sonore les plonge d'autant plus dans une atmosphère hors du temps, proche de la nature. Sur le côté, un peu à l'écart de l'exposition, se trouve un espace de médiation expliquant l'évolution du projet et notamment des pliages, montrant comment le papier est devenu vivant grâce à la robotique.

En ce qui concerne la scénographie, l’artiste confie qu'elle a été surtout intuitive, imaginée directement sur place. L'idée s'est d'abord élaborée sur plan, mais la plus grande partie du travail s'est effectuée directement dans l'espace de monstration. En effet, avec de grandes surfaces, il est difficile d'imaginer le résultat final. C'est pourquoi deux semaines ont été nécessaires pour tout installer. Avec cette œuvre, Dewi questionne sur les frontières sensibles entre l'humain, le végétal et la technologie et invite le spectateur à reconsidérer sa place dans le monde vivant.

 

Cette deuxième collaboration avec l'équipe Defrost a conforté Dewi Brunet dans le fait de continuer à travailler avec ces chercheurs, mais aussi de s'intéresser aux biomatériaux. Il souhaite poursuivre dans le domaine de l'art et de la science, notamment avec un autre projet cette fois-ci avec une mycologue (spécialiste des champignons). Il a en perspective d’aider les artistes à travailler avec des matières vivantes tels des champignons, des algues … et recherche un laboratoire spécialisé en biologie et en philosophie, un aspect qu'il aimerait développer.

Dewi Brunet travaille également avec le groupe Diatom, un studio de création créé en 2021 spécialisé sur le pliage. Avec le soutien de deux autres artistes, il crée également des scénographies, des décors et des accessoires sur mesure pour le spectacle vivant et l'événementiel.

Ainsi donc, Brunet développe son art à travers le pliage. Mais quels peuvent être les nouveaux domaines à explorer et quelles sont les limites de cette pratique ?

Margot Desrue, master Histoire de l'art, Université de Lille

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