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Compte-rendu des expérimentations menées dans le cadre de la résidence Airlab de Mélanie Berger (2022-2023)
Je suis arrivée avec l’idée et l’envie de voir les bactéries interagir avec mon travail : dessiner avec elles pour qu’elles transforment mes images.
J’ai tout d’abord testé les bactéries utilisées par le laboratoire — les pseudomonas Syringae — sur différents papiers avec deux types de milieux, liquide et gélose.
Les bactéries sur papier en milieu liquide se développaient bien dans le liquide, sans affecter le papier.
Les bactéries sur papier en milieu gélose se développaient plus lentement, plus ou moins bien selon l’épaisseur et la composition du papier. Elles étaient transparentes et se développaient « en paquet », autour de l’endroit où je les ai déposées.
Je ne trouve pas là des résultats très satisfaisants.
Sur quelques boîtes avec des milieux gélosés, j’ai posé des papiers non stérilisés : il s’est mis à pousser plein de choses inattendues : des bactéries de toutes sortes, des champignons…
Je croyais que mes matériaux étaient « inertes », et je me suis rendue rends compte qu’ils regorgeaient potentiellement de vie, sans que j’aie moi-même eue à intervenir.
Papiers non stériles sur gélose
Comme les bactéries étaient incolores, j’ai essayé d’apporter de la couleur : que se passe-t-il si mes papiers sont colorés ? J’ai utilisé un pigment bleu de composition chimique mélangé à de la caséine, à de la gomme arabique ou de l’acide oléique. J’ai peint des papiers, dont j’ai placé la moitié dans un milieu liquide, l’autre moitié dans des boîtes avec de la gélose.
Les bactéries se sont développées très lentement, elles ont fini par affecter le contenu de certaines boîtes - surtout celles avec de la caséine - non pas comme je l’espérais en modifiant le tracé coloré, mais en changeant la couleur générale du milieu, qui donc changeait la teinte générale de la boîte, la faisant tirer vers le jaune, devenant bleu fluo à la lampe UV.
Développement de pseudomonas sur papier japon et gélose de type SRM, sans fer, rendues visibles à la lumière UV
J’ai pensé que le pigment bleu n’était peut-être pas attaqué parce qu’il était de composition chimique. J’ai donc ramené un pigment naturel, du rouge de garance, pour le mélanger directement aux bactéries : en préparant des solutions nutritives, avec du pigment et de la caséine, qui sont restées agitées 24h puis 48h à 25 degrés.
J’ai ensuite peint avec un pinceau stérilisé sur mes papiers, placés sur des boîtes avec de la gélose.
Les bactéries se sont développées lentement, mais en surface, au-dessus de ma peinture. Elles n’ont donc pas transporté les pigments, ni affecté le dessin initial. La gélose ayant certainement des traces de fer, les pseudomonas n’ont pas développé de pigment fluo.
Image de gauche : les bactéries ont été inoculées après le dessin-tache, elles n’ont pas modifié le dessin initial
Image du centre et de droite : les bactéries ont été inoculées directement dans l’encre qui a servi de dessin. Elles se sont développées en surface.
À ce moment de mes expériences, je trouvais que le travail avec le papier non stérile était le plus intéressant. Je me suis demandée si le dessin ne pouvait pas provenir d’une « réserve », c’est à dire un espace de papier sur lequel rien ne pousse, mettant ainsi en évidence la multitude de micro-organismes pullulant à côté.
J’ai essayé de le faire en « dessinant » sur des papiers non stérilisés avec de la Biseptine.
Il s’est avéré qu’elle n’était pas suffisante, elle s’est sans doute évaporée et les bactéries et champignons ont finalement poussé partout.
Tentative de préserver des zones stériles dans un papier non stérile avec une solution antiseptique : tout a poussé partout.
J’ai tenté de graver quelques papiers avec une pointe sèche (un outil de gravure), pour inoculer une nouvelle bactérie qui produit des pigments rouges, le Bacillus. Je me disais que si elle avait un tracé « à elle », elle se déploierait selon ce tracé.
C’est effectivement ce que cela a donné, mais le résultat n’était pas probant pour autant car les bactéries n’ont toujours pas réellement « interagi » ou dévié du tracé.
Bacillus inoculée dans des lignes gravées dans le papier.
J’ai alors pensé que mes papiers industriels étaient trop compacts et ne laissaient pas suffisamment de place au développement des bactéries. J’ai donc voulu fabriquer mon propre papier, pour le mélanger avec un milieu nutritif sans gélifiant.
J’ai multiplié les essais :
- Papier fabriqué stérilement puis tassé dans la boîte de pétri. Problème : il ne se démoulait pas et avait vraiment un aspect assez repoussant.
- Pâte à papier non pressée directement dans les boîtes de pétri : les bactéries étaient très heureuses, mais le résultat était très vilain à voir, la pâte ne séchant pas du tout.
À gauche : papiers déchirés dans une solution nutritive sous PSM
Image centre gauche : Bacillus dans papier fait maison, tassé dans la boite, teinté avec du chou rouge
Image centre droit : Bacillus dans papier fait maison encore humide non tassé, teinté avec chou rouge
Image droite : pseudomonas dans papier fait maison encore humide non tassé, teinté avec chou rouge
- Je me suis dit qu’il fallait alors que je préfabrique mon papier, puis que je le stérilise. J’ai eu la mauvaise idée de vouloir stériliser du papier réalisé avec des agents nutritifs : glucose, histamine et fécule de pomme de terre. Le glucose et la fécule de pomme de terre ont cuit pour donner de magnifiques petits cookies !
- Il fallait donc procéder autrement : soit stériliser aux UV, soit stériliser la pâte à papier avant d’ajouter les éléments nutritifs.
Parallèlement à ces recherches, j’ai aussi essayé de modifier la teinte du papier grâce à des colorants réagissant aux variations de ph : décoction de chou rouge, de curcuma et de thé, mais aussi colorants chimiques comme le rouge de phénol, le bleu de bromophénol, bleu brillant et extrait de raisin.
Si le rouge de phénol, dans un milieu comme celui de Mossel, vire du rouge au jaune avec le développement des Bacillus, mélangé à du papier je n’ai vu aucun changement notable.
Bacillus dans un milieu de Mossel, teinté au rouge de phénol : celui-ci vire du rouge au jaune sous l’action du développement des bactéries.
Le seul papier qui a vraiment changé de couleur est le papier teint au chou rouge, qui vire du violet au bleu suivant même le type de papier avec lequel je le mélange (suivant le niveau d’acidité du papier). Le papier japon + chou rouge a été très stimulant pour les pseudomonas, puisqu’elles ont développé en deux jours un biofilm, preuve d’une intense activité.
J’ai finalement imaginé me débarrasser du papier pour m’amuser avec des milieux différents, réagissant tous au ph par variations colorées : j’ai composé des mélanges dans des tubes à essais, inoculant des bactéries dans les différents milieux. Jour après jour, les couleurs des différentes strates ont fondu les unes sur les autres. Les bactéries semblaient cependant se développer, à suivre…
Compositions dans des tubes à essais de différents milieux réalisés avec divers colorants réagissant au PH.
Image de gauche : premier jour, les strates des différents milieux sont très visibles.
Image de droite : jour #8, les strates ont déjà disparues.
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