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DE LA MISE EN CAUSE DES CONDITIONS DE TRAVAIL À LA QUÊTE DE SENS
Conférence de Anne Bory et François-Xavier Devetter
Anne Bory, maître de conférences à l’Université de Lille et membre du Clersé
François-Xavier Devetter, professeur des universités à l’Université de Lille et membre du Clersé
Modération : Laurent Cordonnier, professeur des universités à l’Université de Lille et membre du Clersé
Éloge de la fuite : il faut réduire la durée du travail.
Le travail, au sens concret de la vie passée au travail, ne fait pas que des heureux. Même parmi les gens qui disent aimer leur travail, qui trouvent leur travail intéressant et qui attachent de l’importance à « la valeur travail » on en trouvera beaucoup pour concéder que ce n’est pas toujours une partie de plaisir, que les conditions réelles dans lesquelles il s’exerce sont difficiles, pénibles, parfois harassantes, que les routines créent de la lassitude et (parallèlement et contradictoirement) que les changements incessants sont fatigants, usants, que nombre d’activités n’ont pas grand sens, voire sont toxiques, qu’il n’y entre en général qu’une faible part d’œuvre et qu’il n’y a que le prix auquel il est vendu pour attester abstraitement qu’il est socialement reconnu. C’est que dans une société capitaliste de marché, la volonté de faire œuvre individuellement et collectivement est contrariée de tous côtés. Le travail salarié est subordonné à l’employeur (on ne décide pas de ce que l’on produit, ni « pour qui », ni comment on le produit), ce produit lui-même ne nous appartient pas (il appartient à l’entreprise), la hiérarchie transmet à chaque échelon la pression concurrentielle du marché des biens et services et les exigences des actionnaires, la concurrence sur le marché du travail maintient les travailleurs dans une insécurité qui a force disciplinaire, le paiement monétaire des revenus (qui présente certains avantages par ailleurs) opacifie le partage des revenus entre les profits et les salaires, etc. Or tout cela n’a pas eu l’heur de s’arranger dans l’ère du capitalisme globalisé, financiarisé, libéralisé. Certes tout espoir n’est peut-être pas perdu de tenir un jour en respect ces forces tectoniques (l’une des clés serait de ramener l’entreprise dans le giron de la démocratie). Mais sans attendre, faisons résonner plus fortement l’éloge de la fuite : il faut réduire le temps passé au travail. Non seulement parce que c’est l’une des pistes les plus sérieuses pour négocier le grand tournant écologique et social que nous devons prendre rapidement, mais aussi parce que dans la nouvelle arithmétique du vivre bien, c’est une carte gagnante sur ses deux faces. Nous en avons tous déjà fait l’expérience (avec les jours fériés du printemps, par exemple) : une journée chômée en plus dans la semaine, c’est à la fois une journée de repos en plus par semaine, et une journée de travail en moins. Pour qui sait compter...
Laurent Cordonnier, économiste, professeur des universités à l’Université de Lille et membre du Clersé
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