Panorama 22 – Les sentinelles

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Focus sur l’artiste Claire Williams (1986-)
Claire Williams expose actuellement au Fresnoy, studio national des arts contemporains, son œuvre Ondoscope issue de son projet Les Æthers qui vise à rendre sensible la densité du vide à travers lequel nous communiquons à partir de recherches et instruments scientifiques du XIXe siècle. L’Université de Lille et l’Association Jonckheere, les amis de l’Observatoire de Lille ont aidé Claire à réaliser la méthode de Toepler-Foucault ou effet « schlieren » visible dans son œuvre.

Claire Williams

Claire Williams est une artiste basée à Bruxelles. Ses médiums principaux sont le son, le textile et l’électronique. Ses œuvres explorent notre relation au monde de l’invisible. Elle y construit des appareils et dispositifs qui captent des données imperceptibles ou inaudibles de notre spectre électromagnétique. Ces interactions se traduisent dans des jeux de langages, sonores, textiles, numériques ou tactiles.

Ondoscope

L’installation Ondoscope matérialise en direct les variations électromagnétiques du lieu d’exposition. Une antenne scanne le lieu à la recherche des fantômes électromagnétiques qui le traverse. Un programme traduit ces flux en vibrations mécaniques, rendus visibles par huit cordes se modulant selon les intensités et la nature de ces ondes. Un œilleton propose au spectateur de regarder au travers, il aperçoit alors des effluves qui émanent des cordes, transcodant l’air, telle de minuscules variations à l’origine des phénomènes sonores qui se matérialise sous nos yeux.

Les Æthers

Ordinateurs et smartphones, et toute déclinaison de nos technologies modernes font voyager nos doubles électromagnétiques d’un bout à l’autre de la planète. Ils errent parfois indéfiniment dans l’atmosphère ; nous sommes tous devenus médiums. Aux ondes cosmiques et aux rayons gamma qui saturent le vide au travers duquel nous communiquons s’ajoutent des voix humaines, des messages personnels, des discussions collectives, des informations essentielles, des anecdotes…
C’est à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle que l’invisible commence à se voir. Chimistes, physiciens, ingénieurs, inventeurs, médiums, théosophes et autres savants s’immergent collectivement dans un grand bain de substances distinctes de la matière, mais pas moins réelles. Ce milieu – que certains appellent « éther » et d’autres « fluide » ou « corps » – est traversé par des forces, des effluves, des ondes qui émanent des êtres animés et inanimés : les rayons cosmiques, les pensées des humains, les flux vitaux des plantes, les énergies des médiums, la voix des morts… ce à quoi s’ajoutent aujourd’hui les données satellites, le wifi, les ondes radio, les conversations téléphoniques…
Chacun à leurs manières, chimistes, physiciens, ingénieurs, inventeurs, médiums, médecins et théosophes, imaginent – parfois ensemble – des appareils pour détecter et exploiter toutes ces forces. Ce faisant, ils détournent des appareils tout juste inventés ou en découvrent de nouveaux qui seront parfois réalisés et utilisés à d’autres fins : biomètre, dynamomètre, sténéomètre, psycosope, nécrophone, psychophone, machines à mouvement perpétuel, phonographe, télégraphe, téléphone… Tous ces appareils sont des assemblages composites d’instruments de mesure, de substances chimiques, de dispositifs physiques, de corps humains… Ils ne cachent pas qu’ils sont façonnés par les forces qu’ils détectent autant qu’ils les façonnent.
Ils rendent les forces tangibles en traduisant leurs effets sous la forme d’images photographiques, de graphes tracés, de mouvements d’objets, de sons étranges…
Cet épisode de la science du XIXe siècle recèle des possibilités inexplorées pour rendre sensible la densité du vide à travers lequel nous communiquons. Ondoscope les rouvre pour imaginer d’autres rapports à ce que nous ne voyons pas.

Deborah Levy

Une production Le Fresnoy studio national des arts contemporains et le festival Ososphère (2019-2020) https://vimeo.com/483475913