Interview Celia Levi

Articles   Dans les saisons passées

Celia Lévi, autrice du livre Les insoumises, était venue à l'université dans le cadre des rencontres littéraires organisées par la Direction culture en 2019. Son dernier roman, La Tannerie aux éditions Tristram, a été sélectionné pour la 8e édition du Prix du Roman des étudiants France Culture-Télérama. Elle s'est prêtée au jeu de l'interview.

Celia Levi, je sais que vous n'êtes jamais certaine d'écrire un nouveau roman... Savez-vous pourquoi vous avez écrit celui-ci ? 

Les raisons pour lesquelles j’écris un roman finissent souvent par s’estomper devant la matière romanesque. Plusieurs raisons se sont mêlées et ont rendu l’écriture impérieuse. Je travaillais dans un établissement artistique, j’ai eu l’impression que ce type de lieu était une métaphore de la social-démocratie de nos sociétés occidentales, qu’il s’y concentrait des thématiques actuelles : le travail, l’exploitation des employés, l’hypocrisie du milieu culturel et artistique, la spectacularisation de l’art, la gentrification des quartiers populaires. Et puis il y avait cette vie parisienne frivole, mise en avant et dont le côté obscène n’était que rarement évoqué. Par ailleurs, il y a eu aussi en même temps des exilés, qui s’étant installés porte de la Chapelle étaient pourchassés sans relâche, puis Nuit debout et les manifestations contre la loi travail. J’avais envie de relater ces événements. 

 

Que vous a permis le choix d'une narratrice telle que Jeanne ?

Jeanne est jeune, elle ne connaît pas Paris, elle est naïve, facilement impressionnable. Elle permettait de sonder le lieu, la Tannerie, avec des yeux vierges et donc de faire ressortir avec plus de force l’imposture des discours puisqu’elle les prend à la lettre.  C’est un topos littéraire que celui du personnage du naïf. Et cela confère au lecteur plus de liberté. 

 

Qu'est-ce que "la Tannerie", qui donne son titre au livre ? 

La Tannerie est comme son nom l’indique une ancienne tannerie construite à la fin du 19e siècle à Pantin et qui a été transformée en établissement artistique et culturel. Le roman s’articule autour de ce lieu qui est un microcosme de la société française d’aujourd’hui. J’ai pensé Au bonheur des dames en décrivant cet endroit. La Tannerie est comparable au grand magasin de Zola, les œuvres d’art n’y sont pas moins des marchandises que les tissus. Le lieu exerce sur l’héroïne la même fascination. Et les deux lieux ont un rôle central : ils représentent la cristallisation emblématique du récit.

 

Ma dernière question se veut scolaire mais non dénuée d'affect... La Tannerie, est-ce L'éducation sentimentale du XXIe siècle ? 

Pour Walter Benjamin, la révolution ne regarde pas le futur mais le passé, elle remplit le passé " d’à-présent ". La réalité qui est décrite dans le roman est une réalité médiatisée par une série de représentations et de références, références au monde ouvrier, à un Paris insurgé ; tout cela renvoie au 19e siècle. Il y a en effet de nombreuses références au roman d’apprentissage du XIXe siècle, et à L'éducation sentimentale en particulier. 

Plus qu’un jeu de piste méta-littéraire, il m’a semblé que le roman dans sa forme ne pouvait pas ne pas prendre en compte cet héritage, que là-même résiderait justement l’efficacité du roman et que le lecteur, s’il le désirait, pourrait y découvrir certains aspects de la vérité d’une époque.

 

Quel souvenir gardez-vous de votre venue à l'Université de Lille en 2019 ?

J’en garde un excellent souvenir, les questions et remarques des étudiants étaient très fines et très intéressantes, l’accueil chaleureux. Je m’en souviens comme d’une rencontre de très grande qualité.