Interview Éric Boscher
Ancien étudiant de l'Université de Lille, aujourd'hui auteur, metteur en scène et comédien de la compagnie Fragments des arts, Eric Boscher répond à nos questions.
En tant qu’ancien étudiant de l’Université de Lille, quelles expériences ont contribué à votre dramaturgie ?
Lorsque j’étais doctorant, j’ai eu la joie de participer librement à des ateliers de pratique artistique et de découvrir des spectacles dans toute l’Eurométropole. Si mes souvenirs sont bons, le tarif était fixé à 1€ pour les étudiants, cela permettait d’aiguiser son œil à peu de frais pour qui était curieux. Indéniablement, mon passage à l’université a modifié ma manière de voir, sentir, ressentir, écrire… Je garde aussi un souvenir très marquant d’une masterclass avec le regretté Anton Kouznetsov.
Cette année vous animez pour la première fois des ateliers de théâtre pour les étudiants de l’Université de Lille, pouvez-vous nous partager cette expérience ?
Lorsque la Direction culture m’a demandé de formuler une proposition d’atelier, j’ai souhaité mêler jeu et écriture. Les trois premières séances ont eu lieu en présentiel à L’Antre-2. Début novembre, nous avons dû choisir entre tout arrêter ou poursuivre en visioconférence. Après réflexion, le rdv hebdomadaire est devenu un atelier d’écriture en ligne. Certes, j’ai perdu quelques membres qui ne souhaitaient pas poursuivre sous cette forme, mais j’ai eu la chance de travailler avec un groupe de jeunes autrices avec des profils académiques divers (droit, arts, communication, psychomotricité) et elles sont restées très mobilisées jusqu’à Noël. Ensemble, nous avons entrepris une réécriture contemporaine et très libre du texte autrichien -scandaleux à l’époque- La Ronde d’Arthur Schnitzler. Elles ont choisi de créer leurs propres personnages et d’évoquer la fragilité des relations amoureuses, les violences conjugales, la prostitution... J’espère que, d’une manière ou d’une autre, nous parviendrons à faire entendre leurs mots en 2021.
Vous avez pu jouer pendant le confinement votre pièce « Game Over ? » (Éditions La Fontaine, 2016), que retenez-vous de cette expérience ?
Avec la Compagnie Fragments des Arts, nous avons joué le spectacle près de Lens mi-novembre dans des conditions surréalistes. En effet, les centres culturels sont actuellement fermés, mais les établissements scolaires peuvent organiser des représentations. Concrètement, peu s’aventurent sur cette voie... Entre mesures Covid et mesures Vigipirate, l’établissement ressemblait véritablement à une caserne, mais nous avons admiré la farouche volonté des personnels de répondre à toutes les contraintes imposées et de maintenir toutes les activités possibles.
Je n’oublierai jamais ces représentations, nous avons joué plusieurs fois devant quelques élèves dans une grande salle avec une visière en plexiglas et nous avons très légèrement modifié la mise en scène puisqu’il n’était pas envisageable d’aller au contact du public...
Dans Game over ?, le personnage principal est notamment un hygiéniste qui passe ses journées à désinfecter son lieu de vie, enfermé chez lui, scotché devant ses écrans et sa caméra, et qui suit en continu les informations « scientifiques ». Quoi de plus normal en 2020 ? Sauf que j’ai écrit ce texte dix ans plus tôt. La réalité a, en partie, dépassé ma dystopie théâtrale dont les thèmes principaux restent l’attention et la pression sociale.
Que pouvons-nous vous souhaitez en 2021 ?
S’il existe une géopolitique du sensible, nous (amateurs de spectacle vivant au sens nôble du terme) sommes en train de perdre du terrain. Ce n’est plus à démontrer, cette crise creuse des inégalités dans tous les domaines. Le spectacle vivant n’échappe pas à ce phénomène.
Pour défendre quelque chose, il faut connaître, savoir nommer et décrire cette chose.
Le spectacle vivant est une expérience par nature collective et aujourd’hui quasiment impossible. Même si les meilleurs spectacles du monde étaient tous en ligne gratuitement, cela ne remplacerait jamais le « ici et maintenant ». Dans nos sociétés du divertissement permanent et immédiatement disponible, les sollicitations sont pléthoriques… et nous sommes empêchés, rendus invisibles.
Je nous souhaite beaucoup de choses pour 2021, mais pouvoir nous retrouver, ce serait déjà bien.