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La métamorphose de la toile

Juliette Charigny

L’archivage me permet de travailler sur la mémoire, c’est une question que j’aborde dans divers projets. Dans celui-ci, je m’essaie par un protocole absurde, qui peut être comparé au protocole scientifique de collection ou d’archivage, à renouveler toujours le visuel d’une toile en utilisant diverses matières. Ce projet agit comme le journal de bord de mes tests plastiques. Lorsque j’écris, je dresse le bilan de ce qui a été produit, retranscrit en quelques phrases ou en textes. D’ailleurs, ceux-ci sont parfois tout aussi absurdes que le protocole. Le processus consistant à le faire durer toute ma vie rend ces recherches plastiques inhérentes à ces explorations hasardeuses. 

Ce projet est vécu comme une expérience de la forme et du psychisme, car par l’usage d’un protocole je m’essaie à définir des bases strictes et définitives tout en me laissant la plupart du temps guidé par un instinct esthétique. La conception de ce projet frôle l’idée du journal intime à la différence qu’ici c’est un projet d’étude. J’aime à le comparer à un journal car l’accumulation des métamorphoses qui s’opère par photographie marque des influences, des tendances et des goûts. L’on peut remarquer des chromatiques similaires, des changements brutaux, des contrastes de matières minérale et organique, ou encore des sujets questionnant la vie et la mort. Ce projet est une liaison entre la création et la théorisation. Car, à chaque métamorphose, un texte est lié au visuel. Je fais parfois référence à des projets antérieurs. L’idée de faire un projet tout au long de ma vie me semble en rupture avec l’idée d’une œuvre finie, ce qui est assez difficile à mettre en place pour une exposition. C’est un temps où l’œuvre s’arrête le temps d’un instant. Le projet questionne le temps du spectateur face à l’œuvre, ainsi si cette dernière est changeante et d’autant plus qu’elle n’est prise en photo qu’à des moments T. La véracité devient un jeu et un facteur crucial pour visualiser les métamorphoses. Les imaginer par un texte ou une photographie à un moment T ne reviendrait-il pas à avoir seulement un ou des détails ? Les tableaux détails de Roman Opalka questionnent également le temps. Si les spectateurs devaient compter tous les chiffres le temps serait-il égal au temps de création ? L’appropriation de ce processus a pour enjeu de mettre en forme l’envie de création à un instant T, transformant le tableau secrètement, rapidement ou lentement. Cela en passant par un usage de différentes couleurs, matières ou en enlevant des couches de matières. L’instinct de création ou de destruction prend le dessus jusqu’à un arrêt, une satisfaction qui est partagée aux spectateurs par divers visuels. Notamment par les piles d’affiches A3 qui représentent des instant de ce qu’a été la toile sur laquelle évolue ce projet. Cette proposition de distribution au public est inspirée des œuvres de Gonzalez Torres, qui proposait ce genre de scénographie. Je trouvais que cette proposition était assez amusante car je transfère la mémoire de la toile dans ces impressions photographiques. Le passif d’un objet se retrouve alors dans un autre. La reproductibilité connote la mémoire et l’archive. C’est pourquoi l’on peut se demander où est la métamorphose ? Où est le changement ? Est-il dans le contraste des matières ? des couleurs ? des formes ? du temps ? de l’instant ? de sa documentation ? de la trace ?