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Du 4 rue d’Epinal 59100 Roubaix au 29 rue Leverrier 59200 Tourcoing, aller retour

Sofian Annaouy

Cette installation est hybride, elle ouvre le paradoxe de la représentation de la nature par elle-même, par le croisement de ma pratique personnelle et de l’inspiration de divers artistes travaillant avec la matière vivante, pour créer une structure au carrefour des arts plastiques et du monde végétal.

Au cours de mes déplacements quotidiens, j’ai souvent eu la sensation de vouloir optimiser, de façon inconsciente, le temps que je mettais à parcourir mon trajet. J’ai alors voulu quantifier un des trajets les plus récurrents de son quotidien, celui de mon appartement jusqu’à la fac. Lors de ce trajet, à l’aller comme au retour, je me chronomètre de la sortie de mon appartement à mon arrivée dans la fac. Sur le chemin, à chaque fois que l’action de mon corps change (marcher, s’arrêter, traverser, monter, descendre, s’asseoir, ouvrir/fermer une porte), je note la durée de l’action sur un carnet. Une fois tous les temps notés, je modélise des cases horizontales de différentes couleurs les unes à la suite des autres, une couleur représentant une action. Une seconde équivaut à un millimètre et chaque case fait quinze millimètres de largeur. Un trajet est représenté par une suite de cases, à gauche l’allée, à droite le retour. Il y a au total vingt-sept allers retours. En résulte une frise chronologique faisant écho, dans le rendu chromatique, au travail de Gerhard Richter et de son œuvre 1024 colors (1973). Cette frise est régie par la spatialité du trajet mais aussi par les actions corporelles et le temps consacrés à celles-ci. L’œuvre devient une transposition du corps, du trajet et du temps, comme Vito Acconci avec sa série photographique Blinks (1969), le corps rythme l’œuvre en abordant un de ses aspects, ses déplacements. Le trajet a toujours été un moment agréable de contemplation et de réflexion. C’est un moment précieux, à soi et que l’on peut chérir. Le procédé de réalisation dénature complètement tout cela, l’esprit est concentré sur les actions du corps, sur le temps alloué à chacune d’entre elles. Une fois arrivé, il faut visualiser le trajet de façon méthodique pour retranscrire les temps du chronomètre sur le carnet et y associer une action. Le procédé de réalisation opère comme une biopsie du trajet, un décorticage scientifique de celui-ci. Il n’y a plus de rêverie, plus de temps pour flâner et encore moins pour penser à autre chose que le procédé. L’esprit est envahi par les données, tout comme le flot d’informations que la société déverse dans nos quotidiens.